« C’est au niveau européen que se joue la souveraineté numérique. Le retard pris par l’Europe n’est que transitoire »
En matière de souveraineté numérique, Thomas Serval, DG de Baracoda, estime que la meilleure arme consiste à garantir un niveau de compréhension maximal des différentes strates du cloud et des services associés, d’autant plus lorsqu’ils sont assurés par des prestataires externes.
Est-il possible, pour contenter les besoins numériques d’une entreprise, d’opérer de bout-en-bout avec des solutions françaises ou européennes ? « Pour le moment, non, en tous cas pas
sur l’ensemble de la chaîne », tempère Thomas Serval, DG de Baracoda, entreprise spécialisée dans la HealthTech à l’origine d’objets connectés de la salle de bain (brosse à dent, miroir…)
Plusieurs strates existent en matière de cloud computing. Traditionnellement, on en distingue trois que sont l’Infrastructure as a Service (IaaS), socle du cloud correspondant aux serveurs, réseaux, stockage…, le Platform as a Service (PaaS) qui lui rassemble les outils d’infrastructures et le système d’exploitation, et enfin le Software as a Service (SaaS) qui représente quant à lui les applications utilisateurs.
Pour répondre à ces différents besoins, une entreprise peut gérer certains services en interne ou faire appel à un ou plusieurs prestataires. Tout dépend de sa taille, de son secteur d’activités, de ses besoins technologiques… « Il est essentiel d’avoir conscience de ces différentes strates, et de savoir précisément à quels acteurs sont confiés quels services cloud », insiste Thomas Serval.
De l’usage « intelligent » des solutions Gafam
Les Gafam sont très présents dans les solutions cloud. De par leurs offres complètes, accessibles financièrement et à dimension internationale, nombreuses sont les entreprises qui recourent à leurs services. Des solutions européennes existent aussi, couvrant l’ensemble de la chaîne des services cloud, parmi lesquels on retrouve des acteurs comme OVH ou Cleyrop. Des partenariats entre Gafam et groupes français émergent également comme S3NS de Thales proposant une solution hybride avec les services de Google, ou encore Orange et CapGemini, par l’intermédiaire de leur projet de cloud de confiance baptisé Bleu, en partenariat avec Microsoft.
Plus particulièrement, dans le paysage de l’IaaS et du PaaS, les Gafam règnent en maître. Quatre acteurs captent l’essentiel de ce marché : Alibaba (Alibaba Cloud), Amazon (AWS), Google (GCP) et Microsoft (Azure). « S’il existe peu de fournisseurs, cet oligopole maintient tout de même un certain niveau de concurrence rassurant, car il autorise un arbitrage », précise Thomas Serval.
Ainsi, si une entreprise peut difficilement se passer de recourir aux solutions de ces hyperscalers, elle peut - et devrait - le faire en bonne intelligence. « Disposer de compétences internes afin de comprendre toutes les couches du cloud de l’entreprise et savoir à tout moment quel est le switching cost pour passer d’un modèle PaaS à IaaS est primordial pour mener une stratégie éclairée et gagner en indépendance technique », estime Thomas Serval.
Concrètement, cela signifie notamment de s’assurer de compter parmi ses équipes un directeur des systèmes d’information (DSI) suffisamment compétent. « Le DSI doit comprendre les solutions mises en place, les services fournis et les coûts associés, et auditer régulièrement le dispositif », soutient Thomas Serval. L’entreprise gagne dès lors en degré d’indépendance technique, et en souveraineté.
Par ailleurs, si le socle du cloud passe par les solutions des Gafam, les autres couches de services cloud sont quant à elles réalisables en utilisant des solutions internes, ou bien en faisant appels à certains prestataires externes français ou européens. « Nous disposons de compétences françaises et européennes en IaaS. Il est capital de les conserver », souligne Thomas Serval.
Une souveraineté européenne
Malgré l’avance prise par les Gafam en matière de cloud, les entreprises et les utilisateurs qui aspirent à davantage de souveraineté numérique doivent penser « Europe ». « C’est au niveau européen que se joue la souveraineté numérique. Le retard pris par l’Europe n’est que transitoire », assure Thomas Serval, qui met en avant une communauté de destin entre les différents pays du Vieux Continent sur la question du numérique.
La législation européenne en place va d’ailleurs dans ce sens, en fixant des règles communes à suivre en matière de pratiques numériques, et en imposant le recueil du consentement des utilisateurs sur les conditions de stockage et d’exploitation de leurs données. La souveraineté numérique concerne
les entreprises tout autant que les individus. A un niveau personnel, « l’utilisateur doit avoir conscience des conditions de stockage et d’utilisation de ses données », rappelle Thomas Serval.
Interview issu de l'étude : Concilier performance industrielle et souveraineté technologique, éditée par Instinct Collectif en partenariat avec Cleyrop.