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Alban, Good enough


Alban Sayag

Quand on est entrepreneur, et si l’envie nous vient de dresser un bilan de carrière, même provisoire, et surtout de dresser l’inventaire personnel de ce qu’on laissera derrière soi, comment s’y prendre ? Quels critères s’imposent ? Et ceux qui se sont imposés d’emblée, qu’en reste-t-il à la fin ?… Réflexions d’un startupeur viscéral qui, en vingt ans, aura exercé dans presque tous les types de structures, de la plus petite à la société d’envergure mondiale.


“T’as une Rolex à cinquante piges, ou t’as raté ta vie”. On cite ici de mémoire, c’était en 2009, vous en souvenez-vous ?


Cette histoire de ne pas rater sa vie, Alban l’a toujours questionné : une obligation de laisser une empreinte. Et depuis tout petit ! Non qu’à l’époque il eût envie au poignet d’une montre de luxe en signe de gloire, son impatience d’alors était de gagner le point. Uniquement ça, le point. Revers croisé, passing long de ligne, montée au filet : jeu, set et match ! « Dès cinq-sept ans, puis à dix, à douze, à quinze, rien d’autre que le tennis ne comptait pour moi. »

Quand Alban estime n’avoir aucune chance d’intégrer l’élite un jour, il préfère quitter le court. Plus de sport !


« Ma première boîte à dix-neuf ans »

« J’ai ouvert ma première boîte à dix-neuf ans ». Une start-up, APG Concept, pour développer des oreillettes sans fil. « Du Bluetooth avant Bluetooth », sourire aux lèvres… Pile à l’époque où 3M, Lucent Technologies, Microsoft et Motorola décident de rejoindre le consortium Bluetooth SIG, mené par Ericsson, et qui comprend déjà IBM, Intel, Nokia et Toshiba – accordés sur une stratégie : commercialiser des produits compatibles avec la génération 2.0 du sans fil.


Dommage mais c’est ainsi que sera tirée une leçon précieuse pour l’entrepreneur : mieux vaut être au bon endroit au bon moment qu’en avance sur son temps.


La compétition : une histoire de famille


Le frais diplômé d’HEC Lausanne trouve auprès de son père le soutien qu’il lui faut, et sans doute admire-t-il en lui un profil singulier, atypique, celui d’un touche-à-tout autodidacte. « Il a travaillé dans le savon, dans l’immobilier, dans l’intérim, dans la chimie, dans les RH, dans l’informatique, dans la pub en ligne. Des succès, des échecs ; mais il a toujours réussi à se dépasser ».


Il convient que cette espèce de seconde peau sous laquelle il agit, ça ne lui est pas né seulement d’une habileté première à manier la raquette… « Une question générationnelle, admet-il. D’abord, le réflexe naturel d’un fils à imiter son père, et certainement, de manière inconsciente, à vouloir le dépasser. »


« J’avais deux ans d’earn out »

Alban enchaîne. Sa seconde affaire, il la monte en 2004, à Genève, dans la vente de services digitaux. Elle sera revendue à Capgemini fin 2005. C’est aussi l’occasion d’un apprentissage nouveau : le travail dans un groupe. « J’avais signé deux ans d’earn out avec Capgemini, j’y suis resté cinq ans. J’y ai notamment contribué à développer une société en Inde qui a compté plus de deux cents employés, chose que je n’aurais jamais pu entrevoir sans l’assise d’une entreprise numérique de taille mondiale. »


C’est ensuite une parenthèse d’un an, à Anvers, dans un autre groupe, Nokia. Mais cette fois, ça ne prend pas : « J’ai eu très vite la sensation d’un manque de liberté ; une organisation pas faite pour moi. »


« Quand tu sais que l’idée est là… »


Alors l’entrepreneuriat séduit à nouveau avec WINGiT. Un algorithme qui scanne concerts, soirées, réceptions semi-privées, le tout en temps réel. Une appli idéale pour les adeptes du ce soir on improvise !


« Un beau succès d’audience, concède à présent Alban Sayag, mais un échec commercial. Là, c’était dur. Il y a eu la relation avec les investisseurs, mais sur le plan personnel, d’avoir tenu les choses à bout de bras pendant plusieurs années, quand tu sais que l’idée est là, mais que ça bloque… C’est à ce moment que j’en ai eu marre… Pour la première fois, marre. »


Se réaliser : une question d’équilibre


Gagner, échouer, ça, c’est entreprendre. La vraie trace à laisser, la plus proche de ce qu’on est, et si c’était la capacité qu’on a, ou non, de se relever ? »


Un temps.


« Avant, l’idée que je me faisais de l’entrepreneur, cela se traduisait inévitablement en termes de valorisation. Monter une boîte, la revendre. L’argent, c’est toujours bien, ça prouve au moins qu’on s’est hissé au niveau des meilleurs… »


— Mais ?


— « Par exemple, aujourd’hui… »


— Par exemple ?


« Aujourd’hui, chez Yousign, c’est quasiment la première fois que je ne suis pas CEO. C’est Luc et Antoine qui ont créé la structure, la marque, il y a une dizaine d’années, ce sont eux les entrepreneurs, eux, les dirigeants… Ils avaient besoin d’une expertise et d’un opérationnel pour positionner plus solidement leur produit, une application de signature électronique, aller au-delà d’une clientèle de PMI-PME et s’inscrire dans le marché européen. Depuis septembre 2020, c’est ce challenge-là que j’ai décidé de relever à leur côté. »


« L’accomplissement, oui, mais pas au seul plan professionnel »

Alors, la quête du legs dans le for intérieur du solo-founder, en sourdine ? « Oui, oui, j’ai appris, répète Alban Sayag. En premier lieu, que l’accomplissement ne peut se mesurer qu’au seul plan professionnel. »


« Je me suis remis au sport »

« Cette histoire de ne pas rater sa vie, reprend Alban, c’est vrai qu’elle se dessine maintenant pour moi en trois chapitres : le professionnel, le familial, le personnel. Sans hiérarchiser. L’équilibre étant dans les trois. Au plan professionnel, mon engagement est total à faire progresser Yousign, a fortiori après la levée de 30 M€ que l’entreprise a réalisée en juin 2021 pour gagner en parts de marché en Europe ; le familial, parce que c’est l’évidence, une famille, ça vous recentre sur les priorités ; quant au plan personnel… je me suis remis au sport ! Course à pied. Et en version longue : du marathon ! Plus longue encore : de l’ultra-trail… 80 ou 100 bornes…


Savoir si j’ai été bon, c’est savoir si j’ai fait ce qu’il fallait. C’est de cela dont dépend la qualité d’un parcours : qu’on ait tout donné ; qu’on ait pris le temps qu’il fallait. Pouvoir se dire qu’on a été good enough. Et continuer. Ou changer de chemin. »

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